LE PLAY ET LES LEPLAYSIENS

LE PLAY ET LES LEPLAYSIENS
LE PLAY ET LES LEPLAYSIENS

Le Play est, sans doute, le plus méconnu des fondateurs de la sociologie. L’orientation de sa philosophie sociale, qui permet de le ranger d’emblée parmi les penseurs rétrogrades, fournit un prétexte commode pour ne pas examiner l’ensemble de son œuvre. Ses principes d’observation directe de la réalité et de recherche comparative, sa méthode monographique, ses techniques de quantification par le budget qu’il a appliqués à l’étude systématique des familles ouvrières font pourtant de lui le premier théoricien de la sociologie de terrain. De plus, sa double activité de haut fonctionnaire et de sociologue éclaire l’histoire de la sociologie qu’il a contribué à organiser en créant la Société d’économie sociale. Ses continuateurs ont été nombreux et actifs durant un demisiècle. Ils ont complété la méthode monographique et lui ont ouvert de nouveaux champs d’application. Essaimant dans divers milieux sociaux, les leplaysiens ont pris une part non négligeable dans la diffusion de la sociologie au sein de la société française.

1. Le Play, haut fonctionnaire et sociologue

Le Play naît le 11 avril 1806 à La Rivière-Saint-Sauveur (Calvados). Il y passe les premières années de son enfance «au milieu d’une population maritime chrétienne et dévouée à la patrie [...]», comme il l’écrit lui-même dans Les Ouvriers européens , «à l’abri des opinions délétères qui, depuis 1789, étaient propagées dans la majeure partie de la France». Son père, un fonctionnaire de l’administration des Douanes, étant mort prématurément en 1811, il s’attache fortement à sa mère dont il reçoit une éducation très chrétienne.

Admis en octobre 1825 à l’École polytechnique, il y connaît le bouillonnement des idées politiques et sociales dont l’École est le siège à cette époque. Les saint-simoniens Michel Chevalier et, surtout, Jean Reynaud qui devient son ami, sont ses condisciples. Sorti en bon rang de Polytechnique, Le Play entre à l’École des mines. Élève brillant, il se fait remarquer par la direction de l’École qui l’appuie lorsque, en 1829, il forme avec Reynaud le projet d’un vaste voyage d’étude en Allemagne du Nord avec le dessein de ne pas séparer la visite des mines, des usines et des forêts de son intérêt pour les questions sociales. Démarche originale, couronnée d’un succès qui se révèle déterminant pour la première partie de la carrière publique de Le Play et pour son œuvre sociologique. En effet, son journal de voyage lui vaut de se voir offrir par l’Administration de collaborer à la publication des Annales des mines . Il réussit si bien dans cet emploi (qu’il conservera jusqu’en 1840), que le ministre des Travaux publics le nomme, en janvier 1834, membre de la commission permanente de statistique de l’industrie minérale. Il en sera la cheville ouvrière jusqu’en juillet 1848, où il est nommé inspecteur des études à l’École des mines. Il y était déjà chargé du cours de métallurgie depuis son départ des Annales .

Voilà pour le haut fonctionnaire. Mais l’ingénieur n’abandonne pas pour autant la démarche inaugurée en 1829. Il la poursuit au contraire, faisant durant un quart de siècle de son activité d’expert métallurgiste le support de ses recherches sociologiques. C’est à l’occasion de missions métallurgiques diverses, entreprises chaque année, que Le Play réalise des études sociologiques systématiques au cours de séjours répétés dans différents pays d’Europe. La pratique se répand alors, y compris dans la sociologie naissante, de partir en mission. Ainsi, en 1839, Enfantin est chargé, en Algérie, de «travaux concernant l’ethnographie, les mœurs et les institutions»; et l’on sait que, dès 1835, l’Académie des sciences morales et politiques confie la mission d’observer la classe ouvrière à Villermé et Benoiston de Chateauneuf d’abord, à Adolphe Blanqui ensuite. Cependant, Le Play n’est pas un observateur social comme les autres. Il ne se borne pas à rapporter des faits qui viennent, comme les missions de l’Académie, alimenter les débats tumultueux sur les réformes sociales et politiques. Il veut fonder la science sociale. Aussi choisit-il de passer par une longue phase d’accumulation d’observations au cours de laquelle il précise son objet – les familles ouvrières –, définit sa méthode – la monographie – et élabore ses techniques: l’établissement du budget familial d’une part, la collecte d’informations auprès des autorités sociales de l’autre. Multipliant, en outre, les voyages, il élargit et systématise son étude comparative.

Une telle ambition, qui pose Le Play comme le véritable créateur de la sociologie de «terrain», retarde la publication de ses travaux dont il ne fait pas mystère de l’intention d’ensemble: ils feront pièce aux théories socialistes qui fleurissent à cette époque. Sa réputation va alors grandissant dans les milieux politiques dirigeants: la droite orléaniste tout d’abord qui l’écoute et qui l’encourage, puis, en 1848, le gouvernement provisoire (où siège Reynaud) qui le nomme expert dans la commission dite du Luxembourg et dans celle des études scientifiques et littéraires d’où sort l’éphémère École d’administration. Face au coup d’État, Le Play réagit en haut fonctionnaire et non en homme de parti qu’il n’est pas et ne sera jamais. Il se rallie donc à l’Empire.

La somme de sa première phase sociologique, longtemps attendue, paraît sous le titre Les Ouvriers européens en 1855, année charnière dans la vie de Le Play. S’agissant de sa carrière publique, il est, cette année-là, commissaire général de l’Exposition universelle de Paris et, nommé en décembre conseiller d’État, il quitte définitivement l’École des mines. Cette nomination inaugure les rapports étroits que, durant quinze ans, Le Play noue avec les nouveaux dirigeants au niveau le plus élevé. Fréquemment consulté par l’Empereur pour les questions sociales, c’est à la demande de ce dernier qu’il synthétise ses réflexions sur la situation française dans La Réforme sociale en France qui paraît en 1864. En 1867 il est, à nouveau, commissaire général de l’Exposition universelle de Paris où il crée un concours d’économie sociale, introduisant l’idée que la réussite d’une entreprise ne se mesure pas seulement à la qualité de ses produits, mais aussi à celle des relations sociales qu’elle institue. Le succès de l’exposition lui vaut d’être nommé sénateur.

Comme on le voit, Le Play continue d’associer exercice de la sociologie et carrière dans l’appareil d’État. Mais l’évolution de celle-ci l’incite à réduire son activité de «terrain» au profit du développement de sa pensée sociale et de la fondation d’une école. Les Ouvriers européens ont jeté la base de la science sociale. Il reste à la pratiquer. Dans ce but, en 1856, Le Play fonde la Société d’économie sociale qui se propose d’étudier la situation de la classe ouvrière (exactement des «personnes occupées des travaux manuels») au moyen de la méthode monographique. Le résultat de ses recherches est publié dans un recueil intitulé Les Ouvriers des Deux Mondes qui contient, en l’espace de quelques années, une quarantaine de monographies. Cependant, la Société reste, à ses débuts, plutôt un club d’amateurs éclairés qu’un institut de recherche.

Tout change avec la chute de l’Empire qui marque un nouveau tournant dans la vie de Le Play. Éloigné du pouvoir, ce dernier tire les conclusions, d’une part, de la défaite et de la guerre civile (dans La Paix sociale après le désastre , publié en juin 1871) et, d’autre part, de son engagement passé. Désormais, il ne croit plus à l’efficacité de la position de «conseiller du prince». L’initiative de la réforme n’est pas à attendre de l’État, mais d’une classe supérieure qu’il faut restaurer. Refusant tout nouvel engagement politique, il se consacre à cette tâche et suscite la création des Unions pour la paix sociale qui, implantées localement et régionalement, forment peu à peu un réseau militant dans toute la France. Leur but est de pratiquer l’observation afin de mettre en lumière les faits sociaux caractérisant l’état matériel et moral des populations. À cet esprit de recherche, elles doivent joindre l’esprit de réforme pour faire passer dans la pratique les enseignements de la science sociale. Prenant leur essor en 1874, ces sociétés d’étude et de propagande comptent trois mille membres en 1884. Tandis que s’organise cette activité militante, le projet scientifique se développe et s’étoffe. À côté de la Société d’économie sociale est créé un enseignement inauguré par Tourville et qui prend la forme de cours réguliers assurés par Demolins à partir de 1877. Une École des voyages qui finance les déplacements sur le «terrain» des étudiants complète le dispositif pédagogique. Enfin, en 1881 paraît le premier numéro de La Réforme sociale , revue bi-mensuelle. Organe, à la fois, des Unions et de la Société, elle se présente comme revue engagée et scientifique.

À sa mort, le 5 avril 1882, Le Play laisse plus qu’une œuvre théorique: un ensemble organisé qui lui assure des continuateurs. Et pour postérité, un fils, Albert, né en 1842, qui a épousé Marie-Michèle, fille de Michel Chevalier.

2. Les techniques d’investigation et la visée sociale

La première idée force en matière de recherche sociologique de Le Play, c’est l’observation directe des faits sociaux. Elle fonde une nouvelle pratique scientifique qui s’oppose à la sociologie abstraite issue de la tradition philosophique dont parle Espinas à propos de Comte. La deuxième idée force tient à la démarche inductive. Rompant avec la pratique des tableaux d’ensemble de Villermé et son école (Audiganne et Reybaud), Le Play sélectionne quelques unités sociales à partir desquelles il interprète l’ensemble. Cependant, il ne pose pas le problème de l’échantillon et du champ pour lequel l’unité sociale étudiée est significative. Ce sont ses continuateurs, Cheysson et du Maroussem notamment, qui aborderont cette délicate question. Le Play ne s’assure de la pertinence des enseignements tirés des monographies qu’en les multipliant et en procédant à une étude comparative. Autre point remarquable: le choix de l’objet. Si Le Play fait porter son analyse sur la famille ouvrière, c’est pour connaître la société dans son ensemble. Il ne considère pas la famille ouvrière en elle-même et pour elle-même, mais comme révélatrice de l’état social. La théorie de l’analyseur élaborée par l’analyse institutionnelle un siècle plus tard se trouve ici en germe.

La mise en œuvre des principes et de la méthode fait appel à des techniques, elles aussi remarquables. L’établissement d’une monographie suppose une enquête minutieuse comportant la description de l’environnement physique et social de la famille, l’inventaire de sa base matérielle, l’étude de ses travaux, la reconstitution de son histoire et l’analyse de ses rapports actuels, la vérification des informations recueillies au travers du budget familial détaillé et, enfin, la description des autres éléments qui, avec la famille, forment la «constitution sociale» du pays étudié. La monographie selon Le Play est donc la matrice de diverses techniques qui sont aujourd’hui employées en sociologie, en ethnographie, en psychologie sociale, en histoire, en géographie humaine, etc. De telle sorte que les monographies réalisées par chacune de ces disciplines font figure de sous-ensembles de la monographie totale imaginée par Le Play.

Au cœur de l’œuvre de Le Play se trouve une problématique commune à de nombreux auteurs du XIXe siècle: celle du retour à la stabilité sociale, apanage selon eux de la société sous l’Ancien Régime, au moins jusqu’au règne de Louis XIV. La pensée sociale de Le Play est réactionnaire au sens propre du terme. Elle contient une analyse des causes de la déstabilisation sociale et la définition des conditions d’un retour à la stabilité. Le processus qui a précipité la France dans le groupe des sociétés en décadence est imputé à la politique suivie au cours de la dernière période de l’Ancien Régime et surtout à la révolution de 1789. Parmi les idées qui ont préparé ce bouleversement, celles de Rousseau, et notamment le postulat de la bonté originelle de l’homme, sont vigoureusement combattues. Pour Le Play, au contraire, l’homme incline au mal; les lois et les institutions peuvent néanmoins le corriger. Dans Les Ouvriers européens , Le Play dégage la «constitution essentielle» qui assure la prospérité des sociétés. Elle comporte nécessairement sept éléments: «deux fondements invariables, le respect du Décalogue et le règne de l’autorité paternelle, deux ciments variables et toujours associés, la religion et la souveraineté (c’est-à-dire l’État); trois matériaux, les «tenures» du sol, réunies ou séparées sous les trois régimes de la communauté, de la propriété individuelle et du patronage».

La traduction de ces principes généraux en termes pratiques, à l’échelle particulière d’une société, Le Play l’effectue dans La Réforme sociale en France . Il examine la religion, la propriété, la famille, le travail, l’association, les rapports privés et le gouvernement. Pour chacun de ces éléments, il propose des mesures qui rapprochent l’ensemble de la «constitution essentielle» dont dépend la prospérité sociale. Ces mesures sont de deux ordres. Elles sont législatives et tendent à donner à l’initiative privée la liberté dans tous les domaines (religion, travail, enseignement, pensée). De l’initiative privée favorisée par l’État, Le Play attend qu’elle prenne en charge les mesures réformant la «constitution sociale». Il s’agit principalement, d’une part, du renforcement de la famille, notamment par la transmission intégrale à un héritier du capital culturel et matériel (ce qui remet en cause radicalement le Code civil issu de la Révolution), et, d’autre part, de l’institution du régime dit du patronage volontaire où patrons et ouvriers sont liés par des intérêts et des devoirs réciproques. Ces mesures législatives ou touchant aux institutions impliquent une conception nouvelle de l’État où le gouvernement central voit ses pouvoirs réduits au profit de l’association privée, de la famille et du gouvernement local.

3. Les leplaysiens

Autour de Le Play, surtout à partir de 1872, se constitue un groupe de disciples dont les figures les plus marquantes sont A. Focillon (1823-1890), E. Cheysson (1836-1910), A. Delaire (1836-1915), H. de Tourville (1842-1903), C. Jannet (1844-1894) et E. Demolins (1852-1907). C’est au sein de cette première génération leplaysienne que, trois ans après la mort du maître, se produit une scission. La tension que maintenait Le Play entre le projet scientifique et les visées réformatrices est devenue une contradiction insoutenable pour Tourville et Demolins. Ils se retirent et fondent la Société de la science sociale, nom qu’ils donnent à la revue qu’ils créent aussitôt (1886). Ils entraînent avec eux quelques jeunes gens de la seconde «génération», parmi lesquels P. Bureau (1865-1923), P. Champault (mort en 1915), P. Prieur, R. Pinot (1862-1926) et P. de Rousiers (1857-1934). À l’origine de la séparation, il y a le souci de Tourville et de Demolins de se désengager du credo politique de Le Play et de continuer, avant tout, son œuvre scientifique. Mais, ce faisant, ils se coupent brutalement de la base sociale qui porte la Société d’économie sociale: le réseau des Unions.

La continuation qu’ils souhaitent est cependant rendue possible grâce à deux facteurs. Tout d’abord, Tourville apporte personnellement les moyens financiers indispensables à l’existence de la Science sociale. Il permet ainsi à l’activité scientifique de se poursuivre. Elle porte, premièrement, sur un enrichissement de la méthode de Le Play. Alors que les «orthodoxes» de la Société d’économie sociale semblent s’enliser dans l’accumulation répétitive de monographies de famille, Tourville forge un nouvel instrument d’analyse: la nomenclature des faits sociaux. Cette nomenclature permet de situer la famille étudiée (qui reste la base et le point de départ de l’observation) dans l’ensemble social auquel elle appartient et qui la détermine. Il annonce Demolins qui, avec son concept de «répercussions sociales», ouvre une nouvelle perspective à la sociologie leplaysienne: celle de l’analyse des rapports des faits sociaux entre eux. Deuxièmement, les leplaysiens de la Science sociale se livrent à un examen critique des conclusions de Le Play en faveur de la famille-souche. Fidèles à la méthode d’observation, ils opèrent à partir de recherches sur le «terrain», spécialement aux États-Unis que Le Play n’avait pas connus directement. L’étude de la société nord-américaine les convainc que la famille-souche n’est pas la forme supérieure tant vantée, facteur décisif de stabilité sociale. Cet objectif n’est pas atteint mécaniquement par la transmission intégrale du patrimoine. L’important est de mettre chaque enfant en état de fonder une famille. Le modèle devient celui de la famille particulariste et la question centrale, celle de l’éducation. Tels sont les termes de la nouvelle problématique que Demolins pose, en 1897, dans un livre retentissant: De la supériorité des Anglo-Saxons . Deux ans plus tard, il fonde, pour démontrer le bien-fondé de sa pensée, l’école des Roches dont il veut faire un foyer pratique du particularisme.

Le deuxième facteur réside dans la demande sociale qui, au tournant du siècle, en pleine montée du syndicalisme et du socialisme, se porte sur la sociologie. Comme la plupart des courants ou des écoles sociologiques, la Science sociale est sollicitée pour éclairer l’opinion. Elle l’est, en effet, par le truchement du Musée social dont R. Pinot est le premier directeur et l’organisateur, et aux activités duquel participent P. de Rousiers (dont l’analyse du trade-unionisme est remarquée par Pelloutier et Sorel) et P. Bureau. La collaboration est écourtée en raison d’une mésentente entre le fondateur du musée, le comte de Chambrun, et R. Pinot. Mais la même demande sociale ouvre à ce dernier ainsi qu’à son ami, Rousiers, les portes du syndicalisme patronal qu’ils vont fortement contribuer à structurer. Pinot finira secrétaire général du Comité des forges et de l’Union des industries minières et métallurgiques, et Rousiers vice-président du Comité central des armateurs de France. On doit souligner ici une des particularités de la sociologie leplaysienne qui explique la tendance générale à en sous-estimer l’influence et l’audience. Si elle est marginale ou absente des lieux institués d’élaboration et de diffusion du savoir comme l’Université, elle ne reste pas pour autant confinée dans de petits cénacles. Les leplaysiens trouvent une vaste audience dans divers secteurs sociaux où ils introduisent la sociologie. Ils pénètrent ainsi les milieux patronaux, l’Église catholique et ses multiples organisations (enseignement, mouvement de jeunesse, catholicisme social, syndicalisme ouvrier), le mouvement d’éducation nouvelle, la politique sociale, etc.

Cette stratégie d’implantation, la Science sociale la partage avec la Société d’économie sociale. Celle-ci, une fois la scission consommée, ne végète pas comme Tourville et Demolins le redoutaient. Le dessein de construire une sociologie qui réponde directement aux problèmes sociaux contemporains exige, pour être réalisé, la révision de la méthode de Le Play; elle est principalement l’œuvre de E. Cheysson et P. du Maroussem (1862-1937) qui étendent le champ d’application de la monographie, jusque-là circonscrit à la famille ouvrière, à l’atelier et à la commune. Les techniques d’investigation sont perfectionnées: Cheysson propose de faire appel à la statistique pour dégager grâce aux moyennes le type à étudier; quant à Du Maroussem, il théorise l’enquête, méthode de recherche exhaustive où la monographie proprement dite n’est qu’une partie de l’ensemble. Ces modifications théoriques trouvent leur portée pratique dans l’extension de l’appareil de l’État, elle-même consécutive à une stratégie étatique d’intervention croissante. Celle-ci s’applique aux relations conflictuelles entre le capital et le travail. Elle se traduit, en 1891, par la création du Conseil supérieur du travail et de son organisme d’étude, l’Office du travail.

C’est dans ce cadre que la méthodologie leplaysienne va faire ses preuves, directement mise en œuvre par Du Maroussem qui y réalise plusieurs recherches. Elle sert aussi de modèle pour le Board of Trade aux États-Unis qui l’utilise pour évaluer la consommation ouvrière. Plus tard, le Bureau international du travail s’en inspirera largement. À côté de cette activité spécifiquement sociologique, la Société d’économie sociale et les Unions font office de centrale intellectuelle de la droite française. On y retrouve Maurras et Coubertin, Paul Bourget et Lyautey. Elles prennent parti dans les grands débats de l’époque tels que ceux sur la dépopulation et l’exode rural.

La sociologie leplaysienne connaît à la fin du siècle son audience internationale la plus large. En Belgique, elle influence E. Waxweiler et, à travers lui, l’Institut de sociologie fondé par l’industriel Solvay. Elle a ses correspondants en Grande-Bretagne, tels que P. Geddes (1854-1932), fondateur avec V. Branford de la Sociological Society en 1902, et le géographe Herbertson (1865-1915) qui traduit l’ouvrage de Rousiers sur les États-Unis. Le Department of Labor avec H. Higgs s’inspire de la méthode de Le Play, tout comme, aux États-Unis, le Board of Trade avec C. Wright. L’American Journal of Sociology la présente en 1897. Au Canada, c’est le courant de la sociologie québécoise animé par L. Gérin qui fait référence aux leplaysiens. Comme en Turquie, celui fondé par Sabahattan et Sevki. Au Portugal, Salazar ne cache pas sa sympathie pour la pensée sociale de Le Play, au point qu’arrivé au pouvoir, il invite un des derniers sociologues leplaysiens de la seconde «génération» en exercice, P. Descamps, à enseigner aux universités de Coïmbra et de Lisbonne en 1930-1933.

Les deux tendances, la Science sociale et la Société d’économie sociale, connaissent, au lendemain de la Première Guerre mondiale, la désaffection qui touche l’ensemble des écoles sociologiques nées au XIXe siècle. Elles fusionnent en 1936 et se dotent d’un nouvel organe, Les Études sociales , dont le cent neuvième numéro est paru en juin 1982.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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